Considérations sur l’avenir institutionnel de la région jurassienne

Si l’adjonction d’un article 139 dans la Constitution jurasienne ne pose, sur le fond ni sur la forme, aucun problème, les considérations émises par le Gouvernement jurassien, par contre, ne vont pas dans le sens d’une volonté de réconciliation entre le canton du Jura et le Jura bernois. Au contraire même, certains points relèvent plus du règlement de compte que d’une approche pacificatrice d’un nouvel épisode de l’histoire du Jura.  Les propos du gouvernement jurassien ne démontrent pas une volonté d’apaisement transmise aux populations concernées, ni une volonté de « réunir ».

Une focalisation excessive est jetée sur la ville de Moutier qui, avec Sorvilier, constituent deux seules et uniques exceptions dans le Jura bernois, dans la mesure où il y a une majorité autonomiste au sein des autorités communales. Même si des communes ont à leur tête des maires de tendance autonomiste, comme à Saint-Imier et certainement dans d’autres, la réalité démontre que les autorités communales du Jura bernois sont issues de partis inféodés aux partis antiséparatistes.

Aussi, je me propose de relever les différents points qui méritent une attention particulière.

Le Jura historique

Si cette expression n’est pas utilisée ni dans le communiqué de presse ni dans le « Rapport explicatif… »,  il n’en demeure pas moins qu’elle revient fréquemment dans les propos tenus par les membres du gouvernement et les députés. Le Jura historique était, depuis 1815, constitué de 7 districts ; le Laufonnais a choisi de rejoindre le canton de Bâle-Campagne.  Dès lors, le Jura historique est mort, s’y référer constitue à mon sens une contre-vérité.

Les sous-plébiscites de 1975

L’additif constitutionnel du 1er mars 1970 prévoyait trois plébiscites. Les plébiscites des 16 mars et du 3 septembre 1975 faisaient partie intégrante de l’additif constitutionnel accepté à l’époque par le Rassemblement jurassien. Parler de sous-plébiscites en l’espèce n’est pas acceptable, tant du point de vue légal qu’historique.

A ce propos, l’article 139 ne comporte aucune mention quant à la mise sur pied de deux plébiscites d’autodétermination, l’un pour l’ensemble du Jura et l’autre sur le choix de certaines communes à rejoindre le canton du Jura. Sera-ce, là aussi, un « sous-plébiscite » ?

Les faits risquent d’apporter une pseudo-solution du type de la fusion du  « Val Terbi », avec des enclaves jurasiennes en terre bernoise, par exemple Sorvilier ou même Moutier  qui pourraient devenir des enclaves si Roche demeurait bernoise.

Les conclusions de l’AIJ

Il faut admettre que les travaux de cette institution n’ont jamais emballé ni les populations ni les politiques des deux Juras. Les conclusions devaient « permettre aux populations concernées de se prononcer démocratiquement en toute connaissance de cause, selon un processus à définir ». (P.4).

Or, dans son « Rapport final… », l’AIJ  estime que « la condition sine qua non à la création d’une nouvelle entité cantonale réside dans la mise en place de structures institutionnelles et administratives nouvelles et novatrices ». Si l’idée de base est intellectuellement de bon aloi et mérite une attention particulière, sa faisabilité, dans les années 2012 – 2020, demeure bien incongrue lorsque, concrètement, elle propose « une réduction du nombre des communes à six ». (P.4).

Tous les habitants lucides du canton du Jura et du Jura bernois se sont dit que cette proposition était à « mille lieues » de la réalité. Les tracas engendrés par les fusions régionales au sein des populations et les résultats décevants sur  les fusions de communes laissent perplexes les chances d’aboutir à un règlement de la Question jurassienne en réformant les 6 districts en 6 communes.

Quel sera l’objet d’un vote sur la création d’un nouveau canton ?

Si les conclusions de l’AIJ ne sont pas retenues par les gouvernements jurassiens et bernois, à quoi auront servi ses travaux et les centaines de milliers de francs qu’ils ont coûté ?

La crédibilité de l’institution interjurassienne sera à coup sûr remise en question et vouée aux gémonies.

La piste du « Statu quo+ », quant à elle, va dans le sens d’une amélioration des relations entre le Jura bernois et le Jura, dans une perspective temporelle d’une vingtaine d’années, à condition que le Jura bernois dispose de compétences en termes de discussions et de négociations avec le canton du Jura, voire avec le canton de Neuchâtel.

Déclaration d’intention du 20 février 2012

Pour comprendre la problématique nouvelle de la Question jurassienne, il s’agit de connaître la position politique du canton de Berne depuis les années 2000. Aujourd’hui ce canton est à majorité gouvernementale rouge-verte, il est plus ouvert sur l’avenir que ne le fut, un siècle durant, UDC (ex PAB) et radicaux. Manifestement le gouvernement bernois est moins accroché au rôle exemplaire que devrait jouer son canton entre la partie alémanique et romande de la Suisse. Les Bernois sont conscients que le bilinguisme coûte cher, que la Question jurassienne est une épine dans le pied de l’Ours, que les perspectives sont toujours troubles. La majorité rouge-verte est majoritaire pour une période réduite, le représentant du Jura bernois, M. Perrenoud (PSJB), siège sur un strapontin. Rappelons qu’il a été élu notamment grâce aux voix du PSA. Les partis majoritaires du Jura bernois, l’UDC et le Parti radical, se sont distancés des positions gouvernementales sur la déclaration d’intention du 20 février 2012.

L’affaire dite « des caisses noires »

A mon sens, intégrer l’affaire des caisses noires dans ce rapport constitue une maladresse politique et stratégique. S’il a été prouvé que le gouvernement bernois avait financé des organisations antiséparatistes de 1979 à 1984 à hauteur de Fr. 730’800.-, rien n’a jamais transpiré sur le financement de ces mouvements politiques pendant la période plébiscitaire de 1974-1975. L’affaire des caisses noires, telle qu’avérée, a touché la votation sur l’avenir du Laufonnais.(P.10)

Revenir et faire appel aux aspects troubles et aux épisodes tragiques des plébiscites va à l’encontre d’une volonté d’apaisement entre anciens belligérants.

Si le gouvernement jurassien revient avec cette affaire, c’est ouvrir la porte aux antiséparatistes qui reviendront en avant avec, en particulier, le FLJ, les maisons incendiées et autres méfaits des années 1960 et 1970.

La nécessité de consulter la population du Jura

Le Rapport de l’AIJ demandait que les populations concernées soient consultées sur l’unité du Jura. A cette question les citoyennes et citoyens peuvent répondre, dans le Jura et dans le Jura bernois en tant que partenaires, par oui ou par non. En cas de oui, des communes auraient le droit, dans un deuxième plébiscite, de rejoindre le canton de Berne (communes limitrophes de Bienne par exemple). En cas de non, des communes, comme Moutier, auraient la possibilité de rejoindre le canton du Jura.

Que veut-on en finalité ?

Créer un canton du Jura à 6 districts ou communes ?

Assister à un nouveau démantèlement du Jura bernois ?

Conclusion 

En tant qu’ancien ressortissant du Jura bernois domicilié dans le canton du Jura depuis 1995, j’observe deux points essentiels, tout d’abord sur la situation politique du Jura bernois :

la vie politique est active, la minorité autonomiste apporte une dynamique en faveur de la défense des intérêts du Jura bernois. Les collaborations avec Bienne ne sont pas si mauvaises. Mais les relations avec l’administration bernoise sont compliquées, surtout en raison de la langue ; la population s’en plaint, sans plus. Cependant la Berne cantonale délie volontiers les cordons de la bourse pour sa minorité francophone. Mais il faut saisir la mentalité des Jurassiens bernois : ils sont taciturnes et surtout ils préfèrent ce qu’ils ont plutôt que ce qu’ils auraient. Ils craignent, dans leur majorité, une domination PDC dans le cas d’un canton réunifié ;

admettre que la ville de Moutier, seule, rejoigne le canton du Jura est une douce illusion chimérique ; il est de notoriété publique que Moutier a tout à perdre d’une pareille décision (perte de postes de travail de l’administration cantonale, disparition de l’hôpital).

Sur la situation politique dans le canton du Jura :

depuis 1979, le canton du Jura s’est donné des autorités et a mis en place des institutions fonctionnelles. La vie politique est dictée par un parti inamovible, le PDC, qui pourrait détenir la majorité au gouvernement. L’administration donne l’impression d’être au service de ce parti. Aucune alternance n’est envisageable à terme, contrairement au canton de Berne. Les questions essentielles à se poser aujourd’hui sont les suivantes :

qu’a fait le canton du Jura et ses autorités pour susciter un réel engouement pro-jurassien dans le Jura bernois ?

n’y a-t-il pas trop d’épi-événements qui ont terni l’image du canton du Jura vis-à-vis de l’extérieur, du Jura bernois en particulier ?

hormis le MAJ, le canton du Jura, par ses associations, ne démontre que peu de détermination en faveur d’une réunification. La focalisation sur Moutier est une erreur, Moutier, avec son maire hyperactif, n’est pas le Jura bernois, Moutier est loin de Saint-Imier et de La Neuveville, surtout d’un point de vue mentalité ;

Le PDC, voire le PCSI, veulent-ils réellement la création d’un nouvel état confédéral où socialistes, UDC et radicaux seraient majoritaires ?

Finalement, est-ce le moment opportun de relancer le débat sur la Question jurassienne alors le résultat est connu d’avance : le Jura bernois restera dans le giron bernois.

Dès lors, ne faut-il pas d’ores et déjà plancher sur d’autres opportunités, comme le création d’un canton de l’Arc jurassien… j’en avais fait part dans un article paru dans les journaux régionaux en février 2008.

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